-je vous ai attendue à la porte du café anglais. J' ai suivi la voiture qui vous a emmenés, vous et vos trois amis, et quand je vous ai vue descendre seule et rentrer seule chez vous, j' ai été bienheureux. Marguerite se mit à rire. -de quoi riez-vous ? -de rien. -dites-le-moi, je vous en supplie, ou je vais croire que vous vous moquez encore de moi. -vous ne vous facherez pas ? -de quel droit me facherais-je ? -eh bien, il y avait une bonne raison pour que je rentrasse seule. -laquelle ? -on m' attendait ici. Elle m' e?t donné un coup de couteau qu' elle nem' e?t pas fait plus de mal. Je me levai, et,lui tendant la main : -adieu, lui dis-je. -je savais bien que vous vous facheriez, dit-elle. Les hommes ont la rage de vouloir apprendre ce qui doit leur faire de la peine. -mais je vous assure, ajoutai-je d' un ton froid,comme si j' avais voulu prouver que j' étais à jamais guéri de ma passion, je vous assure que je ne suis pas faché. Il était tout naturel que quel qu' un vous attend?t, comme il est tout naturel que je m' en aille à trois heures du matin. -est-ce que vous avez aussi quelqu' un qui vous attend chez vous ? -non, mais il faut que je parte. -adieu, alors. -vous me renvoyez. -pas le moins du monde. -pourquoi me faites-vous de la peine ? -quelle peine vous ai-je faite ? -vous me dites que quel qu' un vous attendait. -je n' ai pas pu m' empêcher de rire à l' idée que vous aviez été si heureux de me voir rentrer seule,quand il y avait une si bonne raison pour cela. -on se fait souvent une joie d' un enfantillage,et il est méchant de détruire cette joie, quand,en la laissant subsister, on peut rendre plus heureux encore celui qui la trouve. -mais à qui croyez-vous donc avoir affaire ? Je ne suis ni une vierge ni une duchesse. Je ne vous connais que d' aujourd' hui et ne vous dois pas compte de mes actions. En admettant que je devienne un jour votre ma?tresse, il faut que vous sachiez bien que j' ai eu d' autres amants que vous. Si vous me faites déjà des scènes de jalousie avant,qu' est-ce que ce sera donc après, si jamais l' après existe ! Je n' ai jamais vu un homme comme vous. -c' est que personne ne vous a jamais aimée comme je vous aime. -voyons, franchement, vous m' aimez donc bien ? -autant qu' il est possible d' aimer, je crois. -et cela dure depuis... ? -depuis un jour que je vous ai vue descendre de calèche et entrer chez Susse, il y a trois ans. -savez-vous que c' est très beau ? Eh bien, quefaut-il que je fasse pour reconna?tre ce grand amour ? -il faut m' aimer un peu, dis-je avec un battement de coeur qui m' empêchait presque de parler ;car, malgré les sourires demi moqueurs dont elle avait accompagné toute cette conversation, il me semblait que Marguerite commen?ait à partager mon trouble, et que j' approchais de l' heure attendue depuis si longtemps. -eh bien, et le duc ? -quel duc ? -mon vieux jaloux. -il n' en saura rien. -et s' il le sait ? -il vous pardonnera. -hé non ! Il m' abandonnera, et qu' est-ce que je deviendrai ? -vous risquez bien cet abandon pour un autre. -comment le savez-vous ? -par la recommandation que vous avez faite de ne laisser entrer personne cette nuit. -c' est vrai ; mais celui-là est un ami sérieux. -auquel vous ne tenez guère, puisque vous lui faites défendre votre porte à pareille heure. -ce n' est pas à vous de me le reprocher, puisque c' était pour vous recevoir, vous et votre ami. Peu à peu je m' étais rapproché de Marguerite,j' avais passé mes mains autour de sa taille et je sentais son corps souple peser légèrement sur mes mains jointes. -si vous saviez comme je vous aime ! Lui disais-je tout bas. -bien vrai ? -je vous jure. -eh bien, si vous me promettez de faire toutes mes volontés sans dire un mot, sans me faire une observation, sans me questionner, je vous aimerai peut-être. -tout ce que vous voudrez ! -mais je vous en préviens, je veux être libre de faire ce que bon me semblera, sans vous donner le moindre détail sur ma vie. Il y a longtemps que je cherche un amant jeune, sans volonté, amoureux sans défiance, aimé sans droits. Je n' ai jamais pu en trouver un. Les hommes, au lieu d' être satisfaits qu' on leur accorde longtemps ce qu' ils eussent à peine espéré obtenir une fois, demandent à leur ma?tresse compte du présent, du passé et de l' avenir même. à mesure qu' ils s' habituent à elle, ils veulent la dominer,et ils deviennent d' autant plus exigeants qu' on leur donne tout ce qu' ils veulent. Si je me décide à prendre un nouvel amant maintenant, je veux qu' il ait trois qualités bien rares, qu' il soit confiant,soumis et discret. -eh bien, je serai tout ce que vous voudrez. -nous verrons. -et quand verrons-nous ? -plus tard. -pourquoi ? |