Les cheveux noirs comme du jais, ondés naturellement ou non, s' ouvraient sur le front en deux larges bandeaux, et se perdaient derrière la tête, en laissant voir un bout des oreilles, auxquelles brillaient deux diamants d' une valeur de quatre à cinq mille francs chacun. Comment sa vie ardente laissait-elle au visage de Marguerite l' expression virginale, enfantine même qui le caractérisait, c' est ce que nous sommes forcé de constater sans le comprendre. Marguerite avait d' elle un merveilleux portrait fait par Vidal, le seul homme dont le crayon pouvait la reproduire. J' ai eu depuis sa mort ce portrait pendant quelques jours à ma disposition, et il était d' une si étonnante ressemblance qu' il m' a servià donner les renseignements pour lesquels ma mémoire ne m' e?t peut-être pas suffi. Parmi les détails de ce chapitre, quelques-uns ne me sont parvenus que plus tard, mais je les écris tout de suite pour n' avoir pas à y revenir, lorsque commencera l' histoire anecdotique de cette femme. Marguerite assistait à toutes les premières représentations et passait toutes ses soirées au spectacle ou au bal. Chaque fois que l' on jouait une pièce nouvelle, on était s?r de l' y voir, avec trois choses qui ne la quittaient jamais, et qui occupaient toujours le devant de sa loge de rez-de-chaussée : sa lorgnette, un sac de bonbons et un bouquet de camélias. Pendant vingt-cinq jours du mois, les camélias étaient blancs, et pendant cinq ils étaient rouges ; on n' a jamais su la raison de cette variété de couleurs, que je signale sans pouvoir l' expliquer et que les habitués des théatres où elle allait le plus fréquemment et ses amis avaient remarquée comme moi. On n' avait jamais vu à Marguerite d' autres fleurs que des camélias. Aussi chez Madame Barjon, sa fleuriste, avait-on fini par la surnommer la dame aux camélias, et ce surnom lui était resté. Je savais en outre, comme tous ceux qui vivent dans un certain monde, à Paris, que Marguerite avait été la ma?tresse des jeunes gens les plus élégants, qu' elle le disait hautement, et qu' eux-mêmes s' en vantaient, ce qui prouvait qu' amants et ma?tresse étaient contents l' un de l' autre. Cependant, depuis trois ans environ, depuis un voyage à Bagnères, elle ne vivait plus, disait-on, qu' avec un vieux duc étranger, énormément riche et qui avait essayé de la détacher le plus possible de sa vie passée, ce que du reste elle avait paru se laisser faire d' assez bonne grace. Voici ce qu' on m' a raconté à ce sujet. Au printemps de 1842, Marguerite était si faible, si changée que les médecins lui ordonnèrent les eaux, et qu' elle partit pour Bagnères. Là, parmi les malades, se trouvait la fille de ce duc, laquelle avait non seulement la même maladie, mais encore le même visage que Marguerite, au point qu' on e?t pu les prendre pour les deux soeurs. Seulement la jeune duchesse était au troisième degré de la phtisie, et peu de jours après l' arrivée de Marguerite elle succombait. Un matin le duc, resté à Bagnères comme on reste sur le sol qui ensevelit une partie du coeur, aper?ut Marguerite au détour d' une allée. Il lui sembla voir passer l' ombre de son enfant et, marchant vers elle, il lui prit les mains, l' embrassa en pleurant, et, sans lui demander qui elle était, implora la permission de la voir et d' aimer en elle l' image vivante de sa fille morte. Marguerite, seule à Bagnères avec sa femme de chambre, et d' ailleurs n' ayant aucune crainte de se compromettre, accorda au duc ce qu' il lui demandait. Il se trouvait à Bagnères des gens qui la connaissaient, et qui vinrent officiellement avertir le duc de la véritable position de Mademoiselle Gautier. Ce fut un coup pour le vieillard, car là cessait la ressemblance avec sa fille, mais il était trop tard. La jeune femme était devenue un besoin de son coeur et son seul prétexte, sa seule excuse de vivre encore. Il ne lui fit aucun reproche, il n' avait pas le droit de lui en faire, mais il lui demanda si elle se sentait capable de changer sa vie, lui offrant en échange de ce sacrifice toutes les compensations qu' elle pourrait désirer. Elle promit. Il faut dire qu' à cette époque, Marguerite, nature enthousiaste, était malade. Le passé lui apparaissait comme une des causes principales de sa maladie, et une sorte de superstition lui fit espérer que Dieu lui laisserait la beauté et la santé, en échange de son repentir et de sa conversion. En effet, les eaux, les promenades, la fatigue naturelle et le sommeil l' avaient à peu près rétablie quand vint la fin de l' été. Le duc accompagna Marguerite à Paris, où il continua de venir la voir comme à Bagnères. |